
En Turquie, les bergers kurdes retrouvent leurs alpages avec la paix

Pendant des décennies, les bergers d'Hakkari, dans le sud-est de la Turquie, se sont tenus à l'écart des hauts pâturages aux confins de l'Iran et de l'Irak, patrouillés par les combattants kurdes et l'armée turque.
Ils ont repris ces dernières années les chemins escarpés vers les alpages à plus de 2.000 m d'altitude, un choix conforté par le processus de paix engagé entre Ankara et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).
"Ca fait longtemps qu'on vient ici. Il y a 30 ans, on allait et venait mais on ne pouvait plus faire ça... on commence simplement à revenir avec nos animaux", raconte en kurde Selahattin Irinc, 57 ans, tout en maintenant avec douceur le cou d'un mouton pour l'empêcher de bouger pendant la tonte.
Les bergers ont été encouragés après la cérémonie symbolique du 11 juillet, dans le nord de l'Irak où sont repliées les bases du PKK, quand une trentaine de combattants ont déposé et brûlé leurs fusils: un geste de bonne volonté après quatre décennies de violences et une première étape d'un processus de paix initié depuis l'automne.
Selon le président Recep Tayyip Erdogan, la guerre avec le PKK a fait 50.000 morts, dont 2.000 soldats turcs, l'un des plus longs conflits de la région.
Le PKK, considéré comme un mouvement terroriste par les autorités turques et leurs alliés, s'est créé pour revendiquer l'autonomie des Kurdes et s'est engagé dans la lutte armée en 1984.
Pendant des années, les montagnes ont été le théâtre de violents combats entre les soldats turcs et le PKK qui trouvait facilement à se cacher. Et les bergers se sont souvent retrouvés coincés et soupçonnés par l'armée.
Mais Selahattin Irinc et ses pairs sont revenus en famille avec leurs moutons sur les plateaux du massif de Cilo, dominé par le mont Resko, second sommet de Turquie qui culmine à 4.137 mètres.
Ils ont recommencé à s'aventurer prudemment entre les cascades et les lacs de glaciers, croisant d'autres bergers et quelques randonneurs, alors que les affrontements cessaient côté turc pour se concentrer dans les montagnes de Qandil, en Irak.
- "Le seul job" -
"Dans le passé on avait toujours des problèmes avec les soldats: ils nous accusaient d'aider le PKK en les ravitaillant avec le lait et la viande de nos bêtes", confie avec un geste de dénégation un berger qui refuse d'être identifié.
"Maintenant c'est plus calme", ajoute-t-il.
Le processus de paix en cours n'a cependant pas totalement mis fin aux tensions.
L'armée maintient ses checkpoints autour de la ville d'Hakkari et sur la route conduisant au glacier, principale attraction touristique de la région.
Les paysages qui attirent les randonneurs sont splendides, mais la vie y est rude, constate Mahir Irinc, 37 ans, qui pense que sa génération sera la dernière à s'infliger les rigueurs de l'estivage, sous une chaleur accablante et un soleil de plomb.
"Je ne crois pas que les prochaines générations continueront après nous. On a été heureux de le faire, mais les jeunes n'ont plus envie de se lancer dans l'élevage, ils préfèrent des métiers moins durs", déclare-t-il.
Les troupeaux restent en montagne pendant trois à quatre mois avant de redescendre aux villages avant le froid hivernal.
"On travaille tous ici, les mères, les sœurs, toute la famille. D'habitude je reste me préparer pour l'université mais aujourd'hui j'ai remplacé ma mère malade", sourit Hicran Denis, 22 ans, la tête enroulée dans un foulard fleuri.
Avec les autres femmes, elle passe seau en main d'une brebis à l'autre pour la traite.
"Je l'ai dit à ma mère: arrête de faire ça, c'est trop fatigant. Mais au village les moutons c'est le seul job".
P.Roux--PS