
En Bulgarie, des Elfes numériques contre la barbarie sur les animaux

Au départ, ces cybermilitants bulgares voulaient contrer la propagande russe. Mais Petko Petkov, seul visage public du collectif, est très fier de leur dernier coup d'éclat: avoir démasqué des tortionnaires d'animaux agissant sur internet.
Ils se surnomment l'armée des "Elfes", en référence aux gentils personnages aux oreilles pointues de la mythologie scandinave, par opposition aux trolls malveillants qui pullulent sur le net.
Tout a commencé l'été dernier, quand une ONG qui les avait repérés leur donne pour mission de découvrir qui se cache derrière des vidéos montrant une femme en train de martyriser en tout impunité chats, lapins et autres cochons d'Inde.
Sur les séquences diffusées par l'application Telegram et réalisées sur commande contre rémunération, elle porte un masque et rien n'indique comment la retrouver.
Mais à l'aide de techniques numériques, comme la recherche inversée d'images ou la géolocalisation, l'équipe de justiciers bénévoles parvient à remonter sa piste.
Elle fait même d'une pierre deux coups en découvrant l'identité de son complice filmant ces scènes insoutenables.
Les lieux de tournage sont identifiés, toujours grâce à l'Open Source Intelligence (Osint), qui permet la recherche d'informations en source ouverte.
"C'est la première fois qu'un crime est identifié comme cela dans le pays, cela montre que nos efforts servent à quelque chose", se félicite auprès de l'AFP Petko Petkov, le seul de ces anges gardiens à accepter de divulguer son identité.
- "Pas des hackeurs" -
La police arrête mi-mars les suspects, âgés de 26 ans et 35 ans, et le tribunal, jugeant les preuves suffisantes, ordonne leur placement en détention provisoire, dans l'attente de leur procès.
La fin d'un vrai cauchemar: des centaines de bêtes, y compris des souris, poissons et même des crabes, pourraient être passées dans les mains de ce duo qui les soumettait aux pires sévices, parfois même sexuels.
Mission accomplie donc, même si la cause animale n'était pas la priorité du collectif, né il y a deux ans en réaction à la désinformation pro-Kremlin.
La propagande russe est omniprésente en Bulgarie, comme dans d'autres pays européens où des initiatives similaires ont vu le jour.
"Nous étions une dizaine à discuter en ligne, on a peaufiné le concept, puis lancé un appel à volontaires", raconte Petko Petkov. Ils sont aujourd'hui 70.
"Nous ne sommes pas des hackeurs, nous sommes des enquêteurs", insiste ce développeur de logiciels de 37 ans, qui consacre tout son temps libre au militantisme numérique - depuis sa ville natale de Stara Zagora, dans l'est de la Bulgarie, jusqu'à Kiev, où il s'est installé peu après le début de l'offensive russe.
- "Prebunking" -
Leur rôle: identifier les profils diffusant de fausses informations et lancer via ces réseaux des campagnes de mèmes démontant les infox.
"On a remarqué que ces narratifs naissaient en Russie, puis mettaient un certain temps avant d'arriver ici. Notre idée était d'inonder l'espace en amont, avant que la propagande ne s'installe", commente Petko Petkov.
Une technique appelée "prebunking", une sorte de "contre-propagande pour pousser les internautes à la réflexion".
Après leurs révélations sur cette affaire de cruauté animale, des milliers de Bulgares sont descendus dans la rue pour demander des peines plus sévères.
Face à l'indignation, le gouvernement a déposé fin avril au Parlement un projet de loi prévoyant jusqu'à dix ans de prison pour les auteurs d'actes de barbarie envers les animaux.
Près de 300 personnes ont été condamnées ces cinq dernières années pour ce type de délits dans le pays, mais elles finissent rarement en prison.
A l'origine de la coopération avec les Elfes bulgares, Petya Altimirska, présidente de l'association CAAI de défense des animaux, a reçu depuis de nouveaux signalements. "Les Elfes y travaillent déjà", dit-elle.
Mais si leur contribution dans ce dossier est saluée, certaines de leurs actions sont critiquées pour leur ton provocateur et leur parti pris politique.
"L'un des mécanismes les plus efficaces pour contrer les récits d'extrême droite consiste à s'approprier leur vocabulaire et à le détourner", justifie M. Petkov. "Donc si +l'ennemi+ utilise les armes du cynisme ou du sexisme, nous n'hésitons pas à les noyer sous une dose encore plus massive" de la même rhétorique.
Au prix toutefois de "nombreuses menaces".
A.Dupont--PS