
Harcèlement chez Ubisoft: jusqu'à trois ans avec sursis pour trois ex-cadres

Des années à rabaisser, insulter ou sexualiser des collègues sous couvert de ce qui était pour eux "la culture Ubisoft": trois anciens cadres de la société de jeux vidéos ont été condamnés mercredi à Bobigny à jusqu'à trois ans de prison avec sursis.
Figure de proue de l'entreprise avant d'être licencié pour faute grave après la révélation du scandale dans la presse, Thomas François a été condamné à la peine la plus lourde, soit trois ans de prison avec sursis et 30.000 euros d'amende, pour harcèlement moral, sexuel et une tentative d'agression sexuelle.
Contraindre une jeune subalterne en jupe à faire le poirier au milieu de l'open space, lancer des "bitch" ou "morue" en guise de salut, jouer à chat-bite ou embrasser des collègues masculins par surprise... Telles étaient des habitudes de travail du vice-président du tout puissant service éditorial.
La "culture Ubi" avait été un calvaire pour la poignée de jeunes ayant brisé le silence et porté plainte dans ce dossier qui fait figure d'un Me Too des jeux vidéos.
L'ex-numéro 2 d'Ubisoft, Serge Hascoët, a été condamné par la justice à 18 mois de prison avec sursis et à 45.000 euros d'amende pour harcèlement moral et complicité de harcèlement sexuel. Un troisième cadre, Guillaume Patrux, a été condamné à 12 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d'amende.
"C'est une très bonne décision aujourd'hui et également pour la suite. Pour toutes les sociétés, cela veut dire que quand on a un management toxique, les managers doivent être condamnés et les employeurs ne peuvent plus laisser passer", s'est félicitée Me Maude Beckers, avocate de parties civiles.
En se constituant parties civiles, un petit groupe solidaire s'est constitué et s'est renforcé au fil des douloureux témoignages et des interrogatoires recueillis par le tribunal correctionnel de Bobigny lors de l'audience du mois dernier.
Thomas François, qui avait entre 38 et 46 ans au moment des faits retenus par la justice entre 2012 et 2020, a confessé à la barre avoir "manqué de recul" car il avait eu "à l'époque l'impression d'être dans le respect des gens".
Des propos sexistes, des bizutages dégradants qui se déroulaient à quelques mètres de son bureau vitré, Serge Hascoët a affirmé au tribunal n'en avoir jamais eu connaissance.
- "Caprices" -
Numéro 2 d'Ubisoft en sa qualité de directeur créatif, il avait démissionné à l'été 2020 dès que les enquêtes du quotidien Libération et du média en ligne Numérama avaient révélé la toxicité de cet univers de travail.
Le tribunal a pu constater les difficultés que l'homme, aujourd'hui âgé de 60 ans, pouvait avoir à séparer vie privée et vie professionnelle, assignant ses employées à des tâches personnelles sans lien aucun avec leurs compétences.
Aller chercher sa plus jeune fille de six ans à la sortie de l'école ou traverser Paris pour acheter des cacahuètes à coque... malgré leur fonction d'assistantes de direction, elles ont été contraintes à ces "caprices" comme l'a qualifié le ministère public.
"C'est aussi ce qu’on voit dans les films," s'est défendu Serge Hascoët devant le tribunal dont la présidente, atterrée, a eu à lui signaler que "les films, ça n'est pas la réalité".
Dans son réquisitoire, le procureur avait précisé que les actes de harcèlement moral de M. Patrux avaient été "à une échelle plus réduite que Serge Hascoët et Thomas François, mais particulièrement intense pour son équipe".
Durant le procès, les avocats de la défense n'ont eu de cesse de répéter que leurs clients n'avaient jamais reçu "aucun avertissement disciplinaire, aucun entretien avec les RH".
Au grand dam de toutes les parties, ni la personne morale Ubisoft, ni son PDG Yves Guillemot ni sa responsable des ressources humaines Marie Derain n'ont fait l'objet de poursuites dans ce dossier.
G.Durand--PS